Première navigation
En parallèle du texte de Sabrina, Janet effectuait sa toute première navigation. Sur un segment entre Grandville et Brest, elle découvre à la fois le monde de la mer, les coins et recoins de ZERO, et ses habitants temporaires. De Paimpol à l'Aber Wrach, elle vous livre ses premières impressions entre contemplation des voiles et aventures avec la faune locale.
On m’a dit : raconte-moi la mer, ta première prise de large.
Une matinée dans les sacs à fouler les moquettes de train, à regarder la Bretagne filer, à s’assoupir un peu. Le caillebotis de bois sous un soleil lumineux, au port de Paimpol. Nos pas en écho, premiers contacts avec l’élément marin. Première fois que je m’aventure légitimement dans ce garage aquatique, réservé aux plaisanciers et marins confirmés. Zéro apparaît sur le quai, derrière son capitaine venu à terre nous saluer avec gentillesse. Magnifique voilier d’expédition à coque d’acier. On ne voit que lui dans son port, si singulier. Un haut mât de vingt mètres, trente selon les plus passionnés. Les voiles plaisamment enroulées à leurs mats, le cordage – pardon, les bouts ! – rangé et quasi tendu. En attente. Un navire aux mille vies que je devine sans en rien connaître que ce qu’on m’en a dit, au détour des brumes de conversations déviées. A des centaines de kilomètres de là, autour d’une tisane et de Sylvain... Pégase de rêve aux ailes de toile. Etrange animal jamais approché et que je n’aurais jamais pensé côtoyer un jour. Ce passeur pour un monde dont je ne connais rien. Je mesure ma chance , à la hauteur d’une journée qui commence sous le plomb du soleil.
Dans le ventre de la bête, un reste de phare breton. Des livres d’aventure qui traînent, offerts au gré des passagers. Quelques mots de reconnaissance pour quelques audaces accomplies. Le sens retrouvé chez tous les naufragés du navire, venus et repartis. Zéro est traversé et rien de stable en lui, si ce ne sont ses meubles si formidablement vissés, ses coins et recoins fonctionnels, allant de sa cuisine intégrée au four à balancelle, à ses caissons de rangement infinis sous tous les coussins du navire, derrière chaque cloison démontable, en finissant par ses toilettes acrobatiques où l’on se faufile par une porte dérobée. Tissé de bric et de broc, un nœud au milieu du mouvement des gens, des voyages. Un cœur même fait de cordes, d’une guitare que je n’ai pas touchée mais que je sais reposée là, quelque part, un peu âme devenue mousse à bord. Zéro n’a rien de fixe. Ni maîtres, si ce ne sont nos relayeurs de skippers droits comme des i au moindre écart, ni destination privilégiée. Un infini condensé, stable uniquement par sa coque d’aluminium, reluisante au soleil breton. Puis vient Fred, silencieux et habité de chansons, la mer au fond des yeux. Pierre, Sabrina et Martine, trois égarés de plus aux sourires francs et chauds, bien moins perdus ici que moi. Embarqués pour ce voyage dont nous ne suivrons que quelques perles. Arrive enfin Bernard, ses bateaux de mer aux pieds, clope au bec. Avec Philippe qui a su refaire le plein des gourmandises terrestres, notre équipage improbable est au complet… Je découvre une ambiance dans cette arche de Noé sans perroquet. Des compagnons bourrés d’aventures et d’histoires mal dégrossies, cueillies dans toutes les mers du monde. Qui ne finissent pas toujours leurs phrases. Leurs goûts musicaux indéniables. Des cœurs offerts à des femmes toujours trop loin. Aucune cohérence sur ce navire, dont l’essence même s’appuie sur un tempo fou de visiteurs improbables. Au gré des envies des skippers du moment, du vent du large, de la volonté de bleu, nous larguons les amarres au petit matin suivant.
Chaque seconde sur le voilier, le désir d’océan envahit l’espace. A peine arrivés au port, on pense au large, à hauteur d’horizon. Zero en mouvement, l’infini du large jette nos yeux bien au-delà des limites du pont et nous fait oublier les ports d’abri, dériver vaguement en hésitant sur le port d’attache à rallier. Je découvre avec étonnement, qu’il n’y a pas de prisonniers sur le pont d’un voilier... Le programme incertain de ces quelques jours est enthousiasmant, en dehors de l’hydratation excessive obligatoire et de l’étalage de crème solaire 50+. Arrivés un mercredi, nous sommes sur le départ le jeudi matin. Zero me dévoile sa grand’voile, les skippers jouent de son piano de bouts à l’arrière du cockpit, nous déployons le gênois jusqu’à Lézardrieux… Le vocabulaire rentre, le pont est petit mais ne manque pas de découvertes à nommer. Etrange nom que ce Zero qui fait tant parler les taiseux, qui a tant vécu dans les mers du monde. Je découvre, en apprenant à le détailler, ce Zero si compliqué. Le vendredi a des couleurs de robinsonnade sous nos masques de crème solaire : nous mouillons à l’île aux Moines après une journée de mer à apprendre le maniement du gênois, regarder le spi coloré déployé depuis le pont. Un grand cerf-volant qui prend plaisir à se rabattre sur ma tête à chaque retour de vent, comme une toile, lorsque je me colle à son mât. Zero est un bijou de technologie. L’antre du skipper m’est un peu plus dévoilée par Sylvain qui m’initie à la cartographie manuelle. Nous calculons notre route, en pirate confirmé pour l’un et mousse très (très) novice pour l’autre, armés d’un compas et d’une carte marine aussi esthétique que pratique. Nous jouons sérieusement à repérer les cardinaux, à prendre nos points fixes sur la côte lointaine depuis une mer si calme. Fixer l’instable… Les Fous de Bassans frôlent les eaux pour nous encourager. Et sans mon aide, Zero jette l’amarre à destination. L’île aux zolas. Mes skippers méfiants devant leur fourrure et leurs longues oreilles (« pleins de maladies ces bestiaux, si tu en choppes un tu le stockes dans ta couchette, pas dans les coffres du bateau »). Une île quasi sauvage avec sa colonie de goélands. Tout est à parcourir, ce que nous faisons tout le reste du jour, équipage mêlé, démêlé. Sur un navire, les temps de convivialité où la mer s’arrête sont doux. Nous passerons sur les roses du soir précédant l’aurore boréale bretonne, sur une chasse salée sur les hauteurs de falaise, à manier du bâton pour enfermer dans le creux de nos paumes quelques trésors gris et chauds, cueillis au hasard de nos mains. Omelette ratée, clôturée en seize petites bulles flottant sur la mer… Zéros pour nous, braconniers patentés, croqueurs de coquilles trop mûres… Moment amer, mais sourire repêché au matin dans les casiers côtiers, avec deux araignées rouges de mer toutes fraîches. La nuit est d’un calme infini, même si le pont tangue un peu pour moi qui peine à m’enraciner. Je commence à penser que par gros temps, le dos de cette étrange bête à voile me serait inconfortable… Départ au matin pour Aber Wra’ch, où nous vivrons le plus beau soir du monde sur le miroir marin, portant le rose féérique du ciel. J’apprends durant ce jour à lire dans le vent autre chose qu’une sensation. Faire d’un fait, une information utile à la navigation. Je découvre dans mes skippers des charmeurs de vent. Mais déjà on empile de nouveau les couches de crème solaire. Nous hissons, abaissons les voiles, le spi. Bernard plonge pour délivrer Zero d’une bouée de pêche, insidieusement emmêlée à notre hélice… Le voilier impose son rythme et les émotions. Il alterne les longueurs sereines où l’on songe depuis le pont sur la mer, et l’intense activité lorsque le vent est là, le virement de bord nécessaire. L’explosif allié au contemplatif, voilà la dynamique du voilier. L’immobilité de l’équipage est le temps où le navire est efficace, puis inversement. J’en viens à penser qu’il y a un équipier de plus dans ce Zero, bien plus qu’une coque pour flotter…
Au retour, mal de terre garanti.
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