la balade de ZERØ à l'infini

la balade de ZERØ    à l'infini

Carnet de route de Granville à Horta

Depuis son départ de Granville, le 29 juin dernier, Zerø trace sa route entre les iles de l'archipel des Açores et plusieurs équipages se sont succédés. Parmi ses équipiers fidèles,  plusieurs aiment écrire et nous partager avec talent et parfois humour et poésie, ces tranches de vie à bord et en escales. C'est le cas d'Ejvind, équipier du convoyage Granville - Horta.

 
 

 

 

 

Vers les Açores : dernier soir de Zero dans le bassin de commerce de Granville

Vers les Açores : dernier soir de Zero dans le bassin de commerce de Granville

 

Zerø met les voiles

Départ Granville… Vers l’Antarctique !

 

Zerø sort enfin de son chantier après avoir rongé son frein tout l’hiver ! En prévision d’un nouveau grand voyage, ses cinq copropriétaires l’ont bichonné sous toutes les coutures. De poupe en proue, de cales en soute… mais surtout, cette année, de pied en cap ! Avec désormais sur son pont, un tout nouvel appendice en aluminium de 22 m. Un mât flambant neuf sorti d’usine, qui se balançait encore l’avant-veille du départ au bout de l’élingue de la grande grue. Opération délicate aux mains de gréeurs experts qui le positionnaient sur sa « pute de fer »*. Restait à fixer les câbles, vérifier le travail et récupérer un paraphe en bonne et due forme pour l’assurance. Il faut dire que le timing était serré, après « l’arrêt au stand » de trois semaines pour respecter les relèves d’équipages, tout au long de la route, prévues depuis des mois. 

 

Alors à peine le haubanage et les cadènes remplacés et verrouillés, voilà qu’en ce samedi 29 juin 2024, Zéro, le sloop aux grandes oreilles orange un rien punky, passait l’écluse de Granville et faisait route à l’ouest. Bertrand était à la barre… verticale. Sérieux, pas trop punk, plutôt Yacht club de France ! Il est entouré de trois autres équipiers. Les deux autres, qui compléteront l’équipage, sont au bout du Finistère, à Brignogan, et les attendent.

 

* Terme ancien des charpentiers de marine qui désigne le pied de mât. Assez imagé, j’ose à peine l’utiliser.

 

 

Zerø dans la baie de Brignogan

Zerø dans la baie de Brignogan

 

Un parfum d’aventure

Voilà, c’est le grand départ vers l’Antarctique ! Mais tranquille. Pas de précipitation. Première destination donc : Brignogan. 

 

Puis, un long bord de 1 200 milles vers les Acores ! L’Antarctique ce sera pour février 2026. Chaque chose en son temps. Et si le planning est maintenu jusqu’en Patagonie, il y aura, dans le « rétro-sillage » de Zéro, une fois arrivé à Ushuaïa, une cascade de lieux aux noms magiques qui embarque déjà en poésie, en histoire, en géographie : le détroit de Magellan ; les canaux de Patagonie ; les côtes argentines ; l’Uruguay ; une saison au soleil du Brésil ; les fleuves, les embouchures, les îles aux cocotiers… L’archipel du Cap vert et j’en passe…

 

L’objectif, pour les skippers de Zéro et de leurs équipages, est d’aller voir de plus près ces lieux rêvés, qui dessineront cette longue route vers l’Antarctique. Des étapes qui auront été précédemment étudiées, idéalisées, imaginées, redoutées… et préparées. Le temps de bien « rêver ses futures réalisations » comme dirait le skipper du YCF (Yacht Club de France) et des « patagons » du Nord, dont les guidons sont hissés quand il s’agit de faire relâche d’importance.

 

Départ Granville

Mais revenons à nos moutons marins. Bertrand est donc à la barre pour passer l’écluse. Ils partent donc à quatre, récupérer dans le Finistère nord, les deux derniers équipiers, qui ont été chargés de l’avitaillement pour six et pour une dizaine de jours. Mission délicate qui doit satisfaire tout le monde… et éviter la grogne ! Cette première étape sera aussi l’occasion de jauger le nouveau mât et ses réglages. 

 

Après une vingtaine d’heures, Zéro arrive au large de Brignogan. Un port d’échouage, protégé dans sa baie. Un havre quasi fermé par des plateaux de roches. Il pointe son étrave à quelques encablures de la passe et s’y engage. Une passe délicate et impressionnante à marée basse, entre la tourelle rouge An Neudenn (Le fil) et les cailloux. Seule la première bouée visiteur est encore à flot. Ce sera le point d’attente du pur-sang qui ronge son frein pour parader au milieu de la baie. De la maison d’Yves, on aperçoit ses ailes orange dans les brumes du petit matin. La renverse vient seulement de commencer. Temps de repos pour l’équipage, temps pour la marée d’effectuer son travail. 

 

Mais très vite, le pont s’agite. Le flot maintenant s’accélère et le port d’échouage de Pontusval voit ses embarcations tirer sur leurs corps-morts. Zéro s’ébroue dans la houle. 

 

Le voilier alors s’engage. Majestueux, pas discret pour un sou. La longue coque d’alu se faufile entre deux unités professionnelles, un ventru ligneur aux bordés verts, et un caseyeur à robe orange. Dans cette station chic de la côte des légendes, le soixante pieds slalome entre les bouées et les petits voiliers de plaisance. Un requin par-ci, un billie-jane par-là, et encore quelques irréductibles élégants de belle facture, qui subsistent dans un troupeau de canots à moteur en plastique blanc… Zéro finit par jeter sa pioche face à la maison d’Yves. S’ensuivent des allers-retours en Zodiac pour charger les denrées de bouche. Et puis c’est le barbecue où se retrouvent familles et amis. Agapes rapides, et déjà sonne le départ. Il s’agit de profiter du jusant pour sortir de la Manche. 

 

13 h 30, top départ

Cette fois l’équipage est au complet. Pour récapituler, il y a Bertrand, au poste de commandement comme indiqué. Bernard, dernier copropriétaire arrivé dans l’aventure de Zéro, ancien baroudeur en Afrique, moitié chercheur d’or, moitié golden-boy à Jersey… Bruno, équipier fidèle du skipper dont la bonhomie promet de bons petits plats à bord ; Christophe, sérieux épidémiologiste, qui a maintenant pour terrain d’étude l’île de Houat (c’est aussi un ami d’un ancien et futur équipier dit Bambi) ; Yves, l’heureux propriétaire bodybuildé de Brignogan, avec sa maison les pieds dans l’eau, et le dernier, qui suit toujours de loin, et parfois sur le pont, les virées du voilier. Voilà, nous serons six. 

 

Dix nœuds de vent, un bon nœud de courant portant, le bateau file à plus de six nœuds sur l’eau et suit la côte du pays Pagan. L’île Vierge, le pays des abers, le phare du Four, la traversée de la mer d’Iroise jusqu’à Ouessant. Kéréon toujours sur bâbord et on embouque le Fromveur avec le jus qui va avec. Molène au loin, les rochers, le courant, les oiseaux… Le bateau maintenant au largue se délecte de sa meilleure allure.

 

Cette fois, c’est vraiment parti. La coque quitte la Manche et ne reviendra pas ici avant quelques années ! Le routage vers les Açores indique une ligne quasi directe, légèrement ondulante pour éviter de rentrer dans les eaux calmes de l’anticyclone. La météo est bonne, le vent sera portant ou de travers, celui qui fait vibrer la carène et s’emballer d’hydro-générateur ! Pas d’avis de tempête, sinon celle qui s’annonce peut-être dans les urnes !

 

 

Kereon sur babord arrière

Kereon sur babord arrière

 

Feuille de route

Dîner paisible et les quarts s’organisent de 23 h à 9 h. Trois heures pour tout le monde. La première heure à deux, la deuxième seul, la troisième avec un autre équipier. Chaque jour on décale le quart d’une heure. C’est un rythme assez confortable qui permet de saisir tous les moments de la nuit. 

 

Le mien commence ce soir à minuit. Une heure avec Bernard, une heure seul, une heure avec Yves. Il faut se remettre dans le bain. Se souvenir de toutes les « ficelles », toutes les « procédures ». La première heure à deux permet de mémoriser la distribution du piano. Rail, écoute GV, bastaque, écoute de foc, écoute de trinquette, écoute de spi, drisses de part et d’autre, barbers, balancine… Il y en a des étiquettes !

 

La deuxième heure en solo. Les yeux sur les écrans. Radar, AIS, position du bateau sur fond de carte… Et veille visuelle sur le pont. Un tour d’horizon régulier, la confirmation d’un écho ou d’un signal Ais, le bruit de l’eau au-delà des grincements en tous genres. Pas d’étoile, pas de lune, mais la mer se laisse voir. Des masses très noires à bâbord et droit devant, plus de clarté sur l’arrière, et les chimères qui apparaissent de temps en temps, les rêveries les pensées folles… un vrai plaisir. Enfin en général. Le temps est stable, il ne fait pas froid, le vent ne dépasse pas les 17 nœuds pour une vitesse de 9 nœuds. Ça glisse, ça vibre, ça s’équilibre. Tout le monde dort et bientôt je rejoins ma couchette. 

 

Petit train-train de convoyage

Les premières vingt-quatre heures, il faut rentrer dans la danse et trouver ses repères. L’ETA (Estimated Time of Arrival) est prévu dans sept jours ! Les journées vont passer, entre vague ennui, communion avec la mer, les oiseaux, les dauphins, et mille autres expériences marines de tous les sens. Sans oublier les manœuvres, et les moments de douces léthargies, de lecture… de sommeil en fin de quart.

 

En ce deuxième jour, les arrivées sur le pont s’espacent. Chacun récupère à son tour, tandis que le bateau saute le plateau continental dans les turbulences. Bertrand, dernier quart de la nuit, a installé une ligne. Deux heures après, une bonite de 4 kg se retrouve sur le pont. La pêche promet d’être belle ! Thon, dorade coryphène, bonite en pagaille… Mais non, au final, après avoir perdu une belle poêlée de leurres, tous plus beaux les uns que les autres et valant des fortunes, on arrivera aux Acores sans dépasser la pêche du jour. Vitesse trop rapide, fil trop fragile, pas le coup de main ou plus de coup de chance. On se régalera quand même du joli fruit oblong de cette pêche du jour. Une part en sushis chics, une autre au curry. Moins convaincu par la deuxième option. Yves pensait même que c’était du poulet !

 

Pendant ce temps, le bateau traverse des rails virtuels où abondent un nombre de cargos impressionnants. Les montants tout d’abord, qui vont rejoindre les rails d’Ouessant, des Casquets, du Pas de Calais ou des Scilly. C’est un peu l’anarchie, il faut être sur ses gardes, même s’ils sont plus nombreux sur l’écran qu’à vue d’œil. Pour le moment, un porte-conteneurs noir aux lettres ocre MSC nous passe au vent. Il me rappelle les cargos soviétiques de la première guerre froide. Quelques heures après, un destroyer sans aucun système de reconnaissance apparent nous rattrape par l’arrière à moins d’un mille. Une fois sa poupe sur le travers, un tout petit pavillon nous indique qu’il est de la Navy et fait route en solitaire vers l’Amérique ! Où va-t-il laisser son groupe de bâtiment ? Quel retour de mission ? Ça carbure dans le ciboulot.

 

Bruno se met aux fourneaux pendant que Bertrand calcule notre moyenne. À 13 h 15, Zéro aura aligné ses 180 milles. Le beau temps s’installe. Il faut suivre scrupuleusement le routage pour ne pas s’enfoncer dans l’œil sans larme et sans vent de l’anticyclone.

 

La communauté

Et le rythme s’installe doucement. Il y a les survoltés, toujours prêts à dégainer un spi, larguer un ris, rentrer dans la compet… Et aussi les bodybuildés qui tergiversent longuement sur la décision à prendre. Entre les deux, on ne sait pas bien qui fait avancer plus vite le bateau. Notre avatar de routage, lui en revanche, sait où il en est. Et il nous arrive bien souvent d’être à la traîne de sa course avec nos procrastinateurs ! Mais il y a des limites, et le skippeur veille et renvoie plus souvent de la toile qu’à son tour !

 

Donc dans ce dédale des initiatives, chacun trouve son chemin. Il s’agit de faire son nid, trouver sa place sur la durée d’un voyage. Comme dans un jeu de société. On rentre dans la partie. Tapis pour les uns, tout en retenue pour les autres… Et les poker-faces !

 

Mardi 3h37

Le vent molli. On se traîne à 5/6 nœuds. Il fait bon et la mer se réchauffe. Un cargo va nous passer à 12 milles. Ça ronronne dans la coque. Seul aux commandes, je déguste cette solitude. Et plutôt que d’envoyer une nouvelle voile, je continue ma lecture d’un roman « dur » de Simenon : 45° à l’ombre. L’histoire d’un huis clôt d’entre-deux-guerres sur un paquebot. La ligne relie l’embouchure du fleuve Congo à Bordeaux, en escalant le long des côtes africaines et dans les îles. On y découvre des personnages étranges, notamment le médecin du bord, et toute la microsociété coloniale. Tout est décortiqué cruellement par l’auteur. Bizarrement, les sillages de Zéro et du paquebot, à quelques années d’imaginaire, doivent se croiser dans ces mêmes eaux où nous sommes ! 

 

Nuit noire… Jusqu’au levé d’une toute petite tranche de lune décroissante. Le vent passe plus nord en diminuant. Le voilier oscille entre 4 et 5 nœuds pour 6 à 8 de vent apparent. On se traîne d’un seul coup. Tout le monde dort, je vais réveiller Yves pour son quart.

 

 

Un long bord sous Spi

Un long bord sous Spi

 

Petit matin

Retour sur le pont après quelques heures de sommeil. Pour les demi-insomniaque, le rythme des quarts peut-être extrêmement bénéfique ! Le sommeil peut être lourd et profond après que l’on a passé la main. 

 

Tour d’horizon, il fait beau, le spi a été envoyé et le bateau file à plus de 10 nœuds. Un souffle de baleine nous accompagne pour l’apéro. On ne verra qu’une masse noire au loin sonder.

 

Le temps file de plus en plus vite curieusement. Mais il y a toujours des petites choses à régler. L’hydrogénérateur par exemple qui ne produit plus de jus. On profite d’une chute de vent après un grand épisode sous spi pour mettre en panne. Deux plongeurs s’immergent pour goûter l’eau. L’hélice n’est pourtant pas coincée, ni par une algue, ni par un bout ou un filet, mais elle tourne difficilement. Retour à bord après le délice d’un bain de mer. L’eau se réchauffe de plus en plus.

 

Nous sommes maintenant à plusieurs centaines de milles des côtes et les oiseaux marins nous accompagnent toujours. Les plumes rasent l’eau, suivent les vagues, et lorsque le vent est de la partie, c’est encore plus la fête. Un ballet aérien fascinant qui fait rêver de voir un jour les albatros. À l’horizon, des nuages comme des îlots. Et parfois, des grains au loin qui tombent du ciel en calque des arc-en-ciels. 

 

Petit épisode de moteur. Sur une mer plate et sans vent, à peine remuée d’un fond de houle. La surface de l’eau s’irise et sous les nuages s’argente de mille facettes, comme des écailles de bar, des reflets gris blancs, des reflets gris sombre et presque noir.

 

Troisième ou quatrième nuit en mer

4 h du mat. Le quart. Je partage une heure avec Bernard. Alors qu’on s’apprêtait à abattre pour suivre le routage, un halo blanc apparaît sur bâbord. Justement dans la direction que nous voulions prendre, à la poursuite de notre avatar. Nous suspendons donc la manœuvre. Vérification à l’AIS. Aucun signe n’apparaît. Jumelle. On perçoit bien une vague lueur sans aucun rouge, sans aucun vert. Le radar est lancé. Une coque fait bien écho. Ça tourne dans la tête. Il est à une douzaine de mille et se rapproche de Zero. Pile dans son axe. Les minutes passent et tout d’un coup son AIS apparaît alors que les lueurs de ses feux ou projecteur de pont disparaissent… Probablement dans un grain ou passage de brume. D’après les données, il doit maintenant passer à moins d’un mille dans douze minutes. On ne voit rien, mais le radar veille. Et tout rentre dans l’ordre. Sa route, sa vitesse, et maintenant son feu bâbord que l’on perçoit. Tout coche dans nos interrogations, si ce n’est le pourquoi de sa mise en berne de l’AIS qui maintenant nous donne quelques données. C’est un petit pétrolier sous pavillon de complaisance. On rêvasse… Quel pétrole transporte-t-il ? Sous quel embargo ? Prêt à quelle destination pour sa contrebande ? L’effet tintinesque, l’effet fin de nuit qui nous a fait gamberger.  

 

Yves « prend » la suite. Je vais me coucher alors qu’une aube sale et un peu triste s’installe doucement.

 

Des délices de la mer

Le ciel blanchit, la mer enfle. On croise un grand voilier visible à trois milles. Des britishs selon l’AIS. Exercice de proprioception pour tout le monde. 9 nœuds au près. Les épisodes de cuisine sont recherchés pour certains qui s’y délectent. D’autres, moins enclins aux fourneaux, préfèrent renforcer un muscle rare au grattage ou à la plonge.

 

Menu du jour : Lieu jaune de 3,8 kg pêché par Yves à Brignogan. Cuisson basse température, juste cuit à l’arête. Accompagné d’un beurre blanc. Un régal de bonne tenue. 

 

Un autre soir : Linguines à l’ail, piment d’Espelette, parmesan… Accompagnées de petits morceaux de maquereaux fumés effilochés avec filet d’huile d’olive. Un Rasteau pour le plat, un Laudin pour accompagner un comté de 36 mois en provenance directe d’une fruitière du Jura. 

 

Chacun ses petits péchés mignons !

 

 

En parlant de péché mignon : l'Euro de foot au milieu de l'océan grâce à Starlink !

En parlant de péché mignon : l'Euro de foot au milieu de l'océan grâce à Starlink !

 

Retour de quart… Dark Moon

On avait passé cette ligne maritime encombrée de cargos. Les uns montants, les autres descendants. Il n’y avait plus personne sur l’eau. Ou presque. La tension s’émousse. À bord, l’excitation d’arriver prochainement commençait à monter. 

 

Cette nuit, les voiles sont bien réglées, la brise est stable et sans surprise. 

 

L’esprit divague. En plongée dans une douce nuit sans inquiétude. Et sans tourner vers le sommeil, il suffisait de se laisser partir dans une semi-conscience pour rêvasser. Comme en lisant cette carte marine installée par Bertrand sur l’écran du bord. Pas celles des Navionics ou consort, qui n’ont, elles, pas beaucoup d’âme. Mais celles du SHOM. Beaucoup plus bavardent et qui déclinent plus d’informations que le strict nécessaire. Les noms des phares, des tourelles, des bouées, mais pas seulement.

 

À 400 milles de Ponta Delgada, il n’y a aucun caillou, aucun un écueil, pas un bout de terre émergé avant trois ou quatre jours de mer. On est si loin des Sirlots, des Couillons de Thomé, des Héaux, de Pierre noire, de la Jument, ou des Men de toutes les couleurs, qui ceinturent la Bretagne. Ici, l’étrangeté et la musicalité des noms ne viennent pas de la surface ou des écueils. La carte nous aimante peu à peu vers les bas-fonds. Comme hypnotisé par un capitaine Némo qui croiserait encore entre deux eaux. Les lignes bathymétriques nous entraînent à 5 000 mètres sous les mers. Là, sous nos pieds, sous cette fine coque d’alu, sous nos œuvres vives. D’autres explorations, d’autres échelles. 

 

Les failles donnent un sentiment de vertige enivrant et attirant. Tout doucement on glisse vers les abysses, peuplés de créatures marines fantastiques.  Des calamars géants, des vers marins, des poissons-fantôme… Des fonds encore mystérieux mais dont on découvre de plus en plus la richesse. La pêche saccageuse des profondeurs, la ruée vers l’or ou plutôt vers tous ces métaux rares contenus dans les nodules polymétalliques. Ces galets de métaux qui couvrent les plaines abyssales. 

 

Mais restons à la carte. Elle prend l’air des sommets, avec ses vallées, ses passes, ses cols. Tout un univers de montagnards avec les noms qui les désignent. 

 

On passe ici de la plaine abyssale ibérique, sorte de plateau doux entre 2500 et 3000 mètres de sonde. Alors qu’autour, des gouffres, des failles, des fosses plongent à 5 000 mètres sous la coque. Contournant le massif des Acores Biscay, le bateau se faufile au-dessus de la fosse de Freen, à 5 304 mètres. Puis survole le Mont Charcot à 3 000… Puis finit par prendre la passe de Thena… Zéro plane sur une mer presque plate.

 

Vendredi matin.

Paysage fantomatique de nuages qui rasent l’eau. Des puits de lumière sur fond bleu, des montagnes de masses noires à l’horizon. Et puis depuis la nuit, un cycle de vent étrange. Entre 7 et 17 nœuds. Nav aux instruments la nuit, et de jour à la barre. C’est tellement excitant quand ça se lève. De vraies sensations lorsque le bateau, sous spi serré au max, remonte presque plus que le travers à 8 ou 9 nœuds. Tout vibre, l’hydrogéné laboure son sillon, les batteries sont presque pleines, ça dépote, ça siffle comme une machine usine.

 

La douche !!!!

Le dej… la sieste, plus de vent. On envoie le moteur. L’occasion de prendre son temps et d’avoir de l’eau chaude. La douche est bienvenue. Il faut économiser l’eau mais il en reste pour tout le monde.

 

La nuit.

Maintenant seul à bord, les autres dorment. Petit temps et toujours impressionné par la nuit noire qui ne l’est jamais complètement en mer. Pas de lune et sous les nuages, on n’y voit quand même pas grand-chose. Des lueurs de-ci de-là. Le temps d’habituer sa pupille. Des formes, des horizons qui chavirent. J’imagine une nuit si noire par un temps de tempête, seul. Combien sont-ils à naviguer en solitaire ! Respect. Faut avoir le mental j’imagine.

 

Et puis le nuage noir qui recouvrait le bateau comme une couverture occultante passe. Toujours pas de lune et les étoiles apparaissent par milliards. La Voie lactée. On est dedans ! Et ce souffle d’air chaud. On arrive bientôt. 

 

Et maintenant le bruit de l’eau. L’hydrogénérateur a été éteint. Les batteries sont archipleines. Alors siffle le bruit de l’étrave dans les vagues. On oublie trop souvent cette musique-là, l’eau qui chante dans le sillage. Même si ça peut parfois être brutal. Ce soir, ce sont plutôt des caresses. Beaucoup plus sud, ce sera certainement un autre tempo. La BD sur « Damien » circule beaucoup dans l’équipage. Et dans ses bulles, en Antarctique ou arrivant en Géorgie du sud, l’environnement n’est pas vraiment du même tonneau.

 

 

Dernier coucher de soleil de la traversée...

Dernier coucher de soleil de la traversée...

 

3h20 nuit de samedi à dimanche 

Plus on descend, plus la mer est chaude et l’air chargé d’humidité. Cette nuit, la mer est à 25,8 !

 

Hier, journée très cool, beau temps mais un peu de moteur quand même.

 

Le soir, plein d’oiseaux sont venus autour du bateau. À une cinquantaine de mètres, à l’avant arrière sur les côtés. Magnifiques planeurs, ventre blanc, dos et ailes brunes. Intrigués par les leurres de surface sans se faire prendre heureusement.

 

Couché de soleil, lumière chaude tamisée par l’humidité. 

Dîner De Christophe, risotto de cèpes merguez bons vins

Quart de 2 à 5 h en chemisette. Nuit d’astres à gogo et premières étoiles filantes. Discussion avec Bernard qui vient de finir le livre « Zizanie en mer, comment éviter les conflits ». Bouquin intéressant qu’il faut avoir à bord. Bernard futur skipper (Dans moins d’une semaine), préconise que chaque équipier, en début de croisière, le lise ! On n’en a pas eu besoin jusque-là. L’ambiance est très détendue !

 

Fin de quart, premières lueurs de l’île Sao Miguel. On n’a pas vu la terre depuis une semaine et c’est passé si vite. Le fameux rythme. On rentre dedans et déjà il va falloir en sortir. De plus en plus d’oiseaux et des algues flottant à la surface, annonce la terre prochaine.

 

Arrivée à Ponta Delgada. Laurence, femme de Christophe, nous accueille. Une équipière de plus jusqu’à Horta alors qu’Yves s’en retourne vers sa Bretagne. 

 

 

...et dernier lever de soleil de la traversée.

...et dernier lever de soleil de la traversée.

Arrivée sur Sao Miguel

Arrivée sur Sao Miguel

 

Lundi

Coup de vent. On reste sur l’île. Randonnée organisée sur les crêtes d’un cratère. On ne voit rien. Rafales pas possibles, brume épaisse, on ne verra le lac que 4 h plus tard, à cent mètres de lui. Mais ambiance. Des fleurs partout. Hortensias le long des routes. 

 

Le soir, dîner de gala . Anniversaire du skipper. Petits cadeaux, des bulles et du bon vin. Demain, départ pour Terceira.

 

9h30 mardi

On décolle. Il devrait rester pas mal de vent. 

 

En fait le vent n’est pas très stable. De 18 à 32 nœuds au près. La coque rentre bien dans une mer qui se forme et ça avance. Trinquette deux ris. Bruno n’est pas à la fête.

 

Les étapes entre les îles sont très longues. Une petite centaine de milles pour Terceira. À naviguer au milieu d’elles, par certains temps de chaleur et de moiteur qui ne doivent pas être rares, on s’aperçoit que chaque île est dans sa gangue de brume ou de nuages qui condensent, surtout à l’ouest. Une autre façon de se repérer si tout d’un coup on était privé de GPS et de soleil. 

 

 

Zerø au mouillage devant Angra sur l'île de Terceira

Zerø au mouillage devant Angra sur l'île de Terceira

Angra sur l'île de Terceira

Angra sur l'île de Terceira

Jardin tropical d'Angra

Jardin tropical d'Angra

à Angra : une statue grandeur nature de Vasco de Gamma

à Angra : une statue grandeur nature de Vasco de Gamma

 

Départ de Terceira à 23h.

Plutôt que de partir le matin, avec risque de vent quasi nul, on se décide pour une nav de nuit. Départ moteur et premier quart de 23 h à 2 h du mat.

 

On finit par mettre les voiles vers minuit. Et ça avance. … petit matin, Bertrand envoie le spi vers 5h et après ça défile. On arrive à Horta à 12h30. Ville pas spectaculaire mais une ambiance. Bateaux de voyage, certains si petits, qui ont fait la traversée. 

 

Pico est en face. Le volcan et ses 2 351 m qui percent parfois les nuages.

 

Dernier soir à bord. Retour au pays !

 

 

Zerø en bonne compagnie à Horta !

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Horta : les mini 6.50 en escale avant la manche Horta - Les Sables.

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Le quai à Horta.

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à Horta : le Peter's café, une institution plus que centenaire !

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Et un passage obligé pour les marins !

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à Horta : le Mont Pico dégagé.

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03/09/2024
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