Chroniques de quelques jours sur ZERØ entre Turquie et Iles grecques
Kuşadasi
Samedi 27 août : Kuşadasi !
Kuşadasi (prononcer « Kuchadasi »), premier contact avec la Turquie, une ville qui sent bon les vacances et qui visiblement sait faire la fête. Il y a même des feux d’artifice, DJ et orchestre, comme pour nous accueillir.
Kuşadasi, c’est sa grande, très moderne et très chère marina, où l’on retrouve enfin ZERØ , tout au bout du quai, après un bien long voyage depuis Lyon St Exupery.
La marina de Kuşadasi, se sont des douches qui valent vraiment le coup, si vous y passez, surtout profitez-en voluptueusement.
Kuşadasi, c’est surtout un skipper soulagé de retrouver son bateau, où tout à l’air de bien fonctionner à bord.
Alors, en grand professionnel qu’il est, il propose de détendre son nouvel équipage en concoctant son ti-punch « spécial première soirée » de derrière les fagots. Et hop, une bouteille de rhum ! Certain(e)s en abusent un peu, et sur le coup de 1h du mat, à l’heure des ablutions vespérales, la traversée des 3 mètres de la planche de fortune branlante qui fait office de coupée, se révèle très aléatoire. On doit s’y mettre à plusieurs pour faire passer les moins stables, nous éviterons de justesse une plongée involontaire dans les eaux noires du port.
le Meltem
Il est temps de se confronter au Meltem. Ce vent du nord souffle sur toute la mer Egée pendant l’été, parfois atteignant force 7.
On peut donc dire qu’il a mauvaise réputation, comme dirait Brassens, se faufilant dans ce sympathique corridor nord sud que représente la mer Egée, en tentant de se frayer un chemin entre les îles, dont certaines culminent à près de 2000m. C’est là d’ailleurs, coincé entre 2 îles, qu’il peut se mettre en colère et souffler comme un forcené.
Là il peut bastonner et en rajouter quand, obligé d’escalader ces îles, il retombe comme une bête, en assommant la mer sous le vent d’une claque magistrale. Il y a des coins plutôt mal famés à éviter, par exemple entre Ikaria et Samos. Mais au fait, n’est-ce pas par là qu’on veut aller ?
Mais le Meltem offre aussi un énorme avantage : il souffle toujours dans la même direction : NE dans le Nord, Nord au centre et NW au sud de l’Égée. Vous aurez toujours un abri sous le vent à quelques miles, et s’il se met en pétard, il n’y a qu’à attendre dans une petite crique sympa, qu’il se calme un peu.
Philippe, en vieux roublard (pas encore) blanchi sous le harnais, ne se laisse pas impressionner, mais on ne s’oppose pas au vent, on en fait son allié. On va donc choisir des angles de navigation intelligents et sélectionner les bonnes îles. Et tant pis pour Ikaria…
Pour l’heure, le Meltem est parfait pour nous accompagner dans notre navigation vers Samos, pour environ 1h30 de traversée un peu penchée, ou un brin d’amarinage est nécessaire. Il va falloir s’habituer, il ne nous lâchera plus de la semaine.
Samos
Un peu d’histoire : le découpage territorial instauré par les traités à l’issue du grand conflit des années 20 entre turcs et grecs, a attribué l’immense majorité des iles de la mer Egée à la Grèce, même si ces îles sont pour certaines situées à quelques encablures des côtes turques. En même temps, des territoires grecs situés dans les terres turques ont changé de nationalité. Des échanges de population énormes ont résulté de ces traités. Dans cette région, les cultures turques et grecques sont intensément imbriquées, même si le raki c’est turc et l’ouzo grec, faut pas déconner ! Mais l’huile d’olive est partout excellente. Il n’empêche que administrativement, on comprend que cette proximité géographique est une opportunité pour les migrants fuyant le conflit syrien d’atteindre plus facilement le continent Europe « terre promise », comme on le voit à Lesbos un peu plus au nord, ou potentiellement ici à Samos.
Samos, c’est la grande île du coin, haute aussi, jusqu’à plus de 1400m d’altitude. Il faudra en tenir compte dans la gestion du vent en repartant. Mais Samos offre aussi des mouillages sympas pour Zéro. On choisit la crique Posidonion tout au sud-est de l'ile, dans la partie la moins large du détroit entre Turquie et Grece, à peine 1 mile. On voit bien les patrouilleurs de la communauté européenne (belges !) surveiller sans relâche, pour secourir ou repousser, c’est selon. Nous sommes ici au cœur de notre conflit humanitaire d’européens.
Le lâcher de l’ancre sur une bouée de casier qui traînait par là paraît anecdotique, mais ½ heure plus tard, une fois la moitié de l’équipage débarqué à terre, l’ancre se met à glisser subrepticement. Zéro, bien poussé par un Meltem forcissant se rapproche dangereusement du voilier d’à côté. Par chance, il restait le skipper sur le bateau, qui avait renoncé au dernier moment à aller visiter l’île en annexe. Un coup de moteur pour reculer, afin d’éviter que la corde du casier se prenne dans l’hélice, nous fait passer à moins de 3 mètres de nos voisins de mouillage très inquiets « mais qu’est-ce que vous foutez ? Avancez ! » crie la femme. Petite montée d’adrénaline bien maîtrisée, dira Philippe. Désormais, il est quand même décidé d’activer l’application d’alarme d’ancrage sur la tablette, sinon, on ne passera vraiment pas une bonne nuit.
Dans tout ça, on a bien failli manquer de déployer le drapeau grec et ranger le turc. Y en a qui ont oublié, ils zont eu des problèmes !
Arki
La petite île d’Arki a l’immense avantage d’être parfaitement située par rapport à l’angle du Meltem depuis Samos. On l’atteint après une traversée, où par grand largue et encouragé par un équipage motivé, Philippe décide d’envoyer le spi.
Une manœuvre gaillardement menée, mais le temps de voir quelques minutes la belle voile orgueilleusement gonflée, le vent nous abandonne brutalement sous le sommet de Samos. Qu’importe, l’expérience valait le coup, ce n’est pas tous les jours qu’on sort le spi sur ZERØ .
On se résoud donc à démarrer le moteur, le temps de s’éloigner un peu. Sur ce, on se fait rattraper par un petit voilier de moins de 50 pieds,
là c’en est trop pour Philippe, dont l’esprit de marin compétiteur qui sommeillait gentiment en lui monte au créneau. Il décide de s’écarter nettement du vent pour allonger la foulée, « il marche mieux à plus de 60° p/r au vent, c’est son allure » nous informe-t-il. Bonne stratégie, capitaine, l’adversaire supposé s’amarrera à Arki près de 2h après nous.
Arki dispose d’une anse bien protégée avec son petit port très pittoresque qui ne peut que nous plaire. C’est un havre de paix et de tranquillité, royaume des chèvres, et plutôt épargné par le tourisme de masse, même si un ferry y dépose son lot de vacanciers tous les jours. A 2 pas du port et de ses minuscules bateaux de pêche, on remarquera la centrale électrique photovoltaïque, concession intelligente au progrès, qui garantit à l’île une grosse part d’autonomie énergétique.
l y a 3 tavernas sur la petite place qui fait face au quai. Laquelle choisir ? Envoyez-y Laurence, qui n’hésitera pas payer de sa personne pour tester chacune. Notre choix se portera sur celle qui a le wifi, c’est trop difficile de renoncer à se connecter, nous ne sommes que de pauvres et faibles humains. La taverna avec son accueillante tonnelle ombragée, est tenue par une taulière qui parle 5 langues,
dont l’ukrainien ! Mais le français, point. Encore un recul de la francophonie, quelle misère.. Heureusement, il y a du poulpe et des olives, et à partir du 2eme pot du petit vin blanc grec, ça le fait très très bien pour l’apéro.
On fait du jogging sur les petites routes de l’’île, on discute avec des autochtones authentiques, on négocie du rouget frais auprès des pêcheurs, on se baigne dans une eau d’enfer, et on boit un vin blanc tout à fait acceptable… On se sent vraiment bien sur Arki.
Patmos
Patmos se reconnaît de très loin avec son village perché aux maisons éclatantes de blancheur dans le soleil de l’après-midi, surmonté de l’imposant monastère de St Jean. L’île propose de multiples possibilités de mouillage, nous-mêmes jetons notre dévolu dans la crique tranquille de « Pikri Nero » à l’extrémité nord-est de l’île.
Nous sommes en face d’une plage isolée que seuls scooters ou marcheurs peuvent atteindre, et les chèvres évidemment, une fois les humains partis, et enfin nous, qui y accostons pour le rituel jogging au soleil couchant, imposé par Flo.
Le Meltem est plutôt très présent ici, la végétation sèche et rabougrie en témoigne, ainsi que le couple de rares faucons d’Eléonore qui vient nous saluer gentiment par quelques arabesques dans le vent.
Le port de Skala est la halte incontournable pour tourisme et commerce, et nous nous y amarrons pour une nuit compte tenu du coup de vent annoncé. L’arrivée en marche arrière avec Meltem de travers et largage d’ancre au jugé est un grand moment, on s’en sort plutôt bien, le skipper tient bien la barre et l’équipage commence à s’aguerrir. Une fois solidement amarrés et soulagés, le spectacle des autres bateaux arrivant ou quittant le port en s’emmêlant gentiment leurs ancres est permanent. On ne s’en lasse pas, sans compter les discussions animées entre bateaux, avec une nette prédominance de la langue italienne.
La spécialité locale est la location de scooters. Sur les 500m de port, il existe facilement une vingtaine d’officine proposant des machines à 15€ les 3 heures, c’est donné ! Alors, foin du marin, on passe en mode motard avec le sentiment de bonheur d’arpenter l’île en totale liberté et pouvoir découvrir ses plages à l’eau transparente, ses criques protégées et ses cabanons authentiques qui se transmettent de génération en génération.
Culture oblige, la visite de Chora avec ses ruelles tortueuses peuplées de chats grecs en pleine sieste, ainsi que celle du monastère dédié à St Jean, sont incontournables. Fondé au Xeme sècle, il est toujours en activité aujourd’hui.
Quant à la fameuse grotte de l’apocalypse située plus bas, c’est selon la légende, celle où St Jean écrivit son évangile (l’évangile selon St Jean, donc) ainsi que l’Apocalypse, ce qui veut dire « révélation » en langage religieux, bande d’ignares mécréants.’
Nous ne ferons pas la vaisselle sur le bateau ce soir, car le restaurant Tsivaeri, sur le port a su nous séduire, et nous y fêterons notre dernière soirée sur Patmos. L’occasion aussi pour les filles de sortir leur plus jolie robe, qui n’aura donc pas fait le voyage pour rien. C’est un soulagement pour tout le monde.
Lipso
Lipso ne se laisse pas gagner facilement. Surtout si on vient de Patmos, chahutés par un Meltem qui a décidé d’envoyer grave, et qui nous gratifie de rafales à près de 35 nœuds. Où l’on voit que Zéro est un bon bateau bien marin, qui même un poil trop toilé, ne nous met pas au tas. Les barreurs en bavent un peu, on doit quand même prendre un ris en urgence, il faut bien se faire un peu les bras.
Le mouillage abrité visé est la crique « Lera Lipso ». Mais le coin est connu, nous ne sommes pas seuls. « Si bonne place le soir au mouillage tu souhaites, de bon matin tu sortiras de ta bannette », a dit le sage.
Avec ce qui souffle, on ne joue pas et l’alarme d’ancre est activée. Ce merveilleux outil permet de bien dormir malgré les rafales, et c’est important, dormir !
Une fois satisfaits les besoins fondamentaux, l’humain aime s’approprier son environnement immédiat. L’utilisation de masques et tubas, est alors essentielle, et permet aux explorateurs aquatiques de se rendre compte que les fonds sous-marins sont ici un peu plus riches que ce qu’on a eu jusque-là. Habituellement respectueux de la faune, on ne résiste cependant pas à pêcher quelques oursins, qui feront une excellente entrée, surtout qu’on dispose en réserve d’un petit blanc grec qui les accompagne parfaitement.
Un groupe de ravitailleurs partis à terre visiter le port niché dans l’autre anse de l’île, revient avec les emplettes nécessaires à notre survie. Philippe sort alors la botte secrète de Zéro, son barbecue. Certes on ne sait pas trop si les quatre morceaux de tôle qui s’emboitent vont tenir, mais on a bien tort de douter ! Et la jupe du bateau est parfaite pour l’installer et le stabiliser, bien protégé du vent. On dégotte du petit bois, de la cagette, du charbon, un coup d’alcool à brûler, et hop, c’est parti. Les saucisses grillées au barbecue sur Zéro, en vérité on vous le dit, c’est un must incontournable.
Lipso se quitte un peu avant l’aube, comme un amant ou une maîtresse. Le moteur est démarré pour sortir de la crique, la voile est hissée dans la nuit, le voilier prend de la vitesse en récupérant les bribes d’un Meltem encore endormi. Nous sommes aux premières loges quand une lueur apparaît timidement vers le levant. Encore un peu de patience et l’astre rougeoyant, énorme, somptueux, émerge lentement au-dessus de la côte turque. Le spectacle est saisissant, on ne regrette pas un instant ce réveil très matinal. C’est qu’il se mérite le lever de soleil sur la mer Egée.
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