la balade de ZERØ à l'infini

la balade de ZERØ    à l'infini

De Zéro à l'Infini (Transat de Saint Martin aux Açores - mai 2025) - Partie 1

Cette fois-ci, Zéro s’élance pour une transat de Saint-Martin vers les Açores, avec à son bord sept navigateurs hauts en couleur : une pilote Air France à la retraite, des Marseillais armés de fromages et de pâtés, un apiculteur bricoleur, un lecteur infatigable… et quelques kilos de chorizo pour cimenter l’équipage. Entre débats d'avitaillement au Super U, tortues d’Anguilla, rencontres impromptues, messes météo et premières nuits sous la lune, les jours s’égrènent au rythme des quarts, des découvertes et des fous rires. Dans un carnet de bord en deux parties, découvrez comment nos équipiers se familiarisent au début de cette folle traversée.

 

Samedi 3 mai 2025

Rendez-vous à Roissy Charles de Gaulle pour un vol direct Air France Charles de Gaulle Saint-Martin. C'est la première rencontre en face à face des membres de l'équipage.

 

  • Sido, pilote Air France à la retraite et magicienne des billets GP
  • Stéphanie et Antoine, Marseillais, trafiquants de pâtés du sud-ouest et de fromages d'Auvergne
  • Bernardo - à ne pas confondre avec Bernard - apiculteur bricoleur.
  • Christian, l'homme aux bras si longs qu’il peut vider le frigo de Zéro sans se baisser
  • Bernard skipper tatoué, taiseux et taciturne
  • Moi

 

Sur Air France, la classe éco ressemble à s’y méprendre à la classe business. Champagne ! Alors que je m'assieds à côté de Sido pour lui faire part de ma peur de l'avion, Adonis, le plus beau des stewards, vient « discuter » avec elle. Pour plus de tranquillité, il essaye de m'assommer avec un cognac géant mais je résiste.

 

L'aventure se poursuit donc à 7, puisqu’Adonis n’aura pas réussi à rejoindre l’équipage. On se pose à l'aéroport de la princesse machin, bien mieux connu sous son nom de code SXM. Saint Martin et le seul endroit où le code aéroport est devenue une marque. Marque de bière, de vêtements et de l'île tout simplement. C'est peut-être dû au trilinguisme français-anglais-néerlandais. SXM est plus facile à comprendre que Sint Maarten.

 

Taxi en direction de la Marina pour la modique somme de 70€. On apprendra vite que l'unité de compte des taxis est de 10€ par personne.  Tour du bateau et l'équipage se scinde en 2 : l'équipe bricolage bricole ; l'équipe avitaillement avitaille. Nous apercevons une magnifique raie léopard dans le port. Wikipedia nous apprend que sa piqûre peut être mortelle pour l'homme.

 

L'équipe avitaillement découvre le surprenant et incontournable Super U de SXM, sous l'autorité de Stéphanie. 4 caddies et 1000€ plus tard elle rejoint 0 en taxi. 5 personnes, soit 50€ de taxi, pour un trajet de 1,5 km. Cela peut paraître cher mais Patricia la taxi-woman est magnifiquement coiffée et son taxi, Joe, est doté d’une boule à facettes et autres éclairages disco. Patricia déclame « Joe le taxi, c'est ma vie.»

 

Une fois prise, la météo est déclarée défavorable. Pas de départ en vue.

Nous dînons dans un Lolo, restaurant traditionnel local et dégustons des accras, des boudins, des plantains, le tout arrosé de rhum.

 

Dimanche 4 mai 2025

Levés à l'aube, nous reconstituons les équipes bateau et avitaillement. Pour la B-team montée au mât, gréement du génois réparé à SXM, plein d'eau et vérification des cales.

 

Quant à la A-team, retour au Super U notamment pour s’avitailler en fruits et légumes frais y compris plantains, avocats, mangues, christophines et noix de coco dont aucun ne vient de SXM. Pour éviter le taxi aux prix exorbitants, nous décidons de rentrer à pied et de prendre un raccourci qui nous mène droit à l'EHPAD puis aux pompes funèbres. De toute évidence on s'est perdus et nous sentons monter la tension au sein de l'équipage et certains regrettent amèrement le taxi à10€, probablement ceux qui portent les sacs les plus lourds.

 

L'après-midi petit tour à la plage. Sur la route nous croisons de gros varans gris-noirs aux griffes acérées. Ils ressemblent vaguement à leurs cousins de Komodo si ce n'est que ceux de SXM nous ont laissé la vie sauve.

 

La bonne nouvelle est que la marina nous accorde une nuit de plus au ponton.

 

Lundi 5 mai

La météo n'étant toujours pas favorable (l’est-elle jamais vraiment ?) Nous décidons d'aller mouiller à l'île d'en face, Anguila après un passage à la pompe à essence.

 

C'est parti pour 20-25 milles de navigation tranquille.  En route, nous croisons des pêcheurs de langoustes avec qui nous entamons une dure négociation. Avec 5 diplômés d'école de commerce à bord et la maîtrise d’au moins 7 langues vivantes et quelques mortes, on est bien partis pour une négo dantesque.  Et bien non, la discussion achoppe sur le choix de la monnaie, les langoustiers parlant dollar et nous évidemment en euro. Nous sommes quittés bons amis mais sans avoir conclu. Un signe précurseur de guerres monétaires à venir ?

 

Nous sommes accueillis au mouillage de Point-Road Bay par quelques tortues qui sortent paresseusement la tête de l'eau. Petit tour à terre et promenade sur la jolie plage. Bernardo, Bernard, Christian et moi entrons par hasard dans le Sand Bar boire un verre, servi par une charmante jeune serveuse.  Arrive alors le chef barman le célèbre Lewis-Klaren Kyrleson (@Kyrleson). Il vient de remporter un concours de mixologie local et espère participer au concours international de mixologie de Miami. Il nous fait goûter son cocktail signature à base de rhum et fumé au gingembre dans un petit fumoir.  Après le 2e cocktail nous avons oublié le nom du cocktail dans les fumées de gingembre. Je lui ai laissé la recette du Merci Guillaume pour étoffer son carnet de recettes.

 

Mardi 6 mai

C'est parti pour une aventure à Anguila avec deux objectifs : 1. boire un café et 2. acheter du poisson. Première étape : commander un taxi. Check : Sharmaine arrive dans son sublime van noir. 2e étape : négocier un prix. Le prix est fonction du nombre de personnes comme a SXM, mais aussi de la zone géographique (assez rationnel), du nombre de stops, multipliés par la racine carrée de l'âge du capitaine. En 2 mots, c'est cher. 3e étape : trouver un café. Sharmaine en connaît un. Nous traversons une sorte de No Man's Land, sans forme et sans contour et finissons par arriver à un resort à l'américaine sur une jolie plage. On y boit 2 cafés et 2 jus pour la modique somme de 30$ US. L'objectif poisson est quant à lui un échec : le marché est fini ou n’a pas commencé et le ‘fish depot’ au doux nom de Hungry’s n'a pas les bons poissons. Déjeuner à bord sans poisson et avec une note de taxi de 100$ US et non en Eastern Caribbean dollars, la monnaie locale théorique.

 

Bernard a néanmoins profité de l'escale pour s'acheter un magnifique maillot bleu qu'il s'empresse de perdre le jour même. Du coup, je lui prête mon nouveau maillot bleu jamais porté, et espère qu'il ne subira pas le même sort.

 

Point culture générale : Anguila est un territoire d'outre-mer britannique avec 18,000 habitants - qui ne sont pas des anguilles - et 6,000 entreprises. Quel esprit d'entrepreneuriat ! La monnaie est le Eastern Carribbean Dollar mais tout le monde lui préfère son cousin US, d'où viennent la majorité des touristes et des revenus.  La terminaison internet d'Anguila est .ai ce qui attire de nombreux acteurs de l'IA. J'ai la brillante idée de déposer www.porn.ai mais j'ai été devancé et une IA lubrique vous y propose des fantasmes virtuels.

 

La météo étant toujours peu favorable à la traversée (mais l'est-elle jamais vraiment ?), nous retournons à SXM, pays où les taxis sont quand même moins chers. Nous mouillons cette fois-ci à Baie Grande Case, à côté du rocher créole, deuxième attraction de SXM après la plage en prolongement de la piste d'atterrissage. A peine mouillé, Stéphanie est dans les starting-blocks pour aller au Super U. Malheureusement il est trop loin pour y aller à pied et le budget taxi affichant 0, nous nous contentons des épiceries de Grande Case.

 

Petit point avitaillement: nous prévoyons pour la traversée, 20x7x3 soit 420 repas. Si on prévoit une sécurité de 50% cela monte à 630 repas et il faut tenir des goûts des uns et des autres, exprimés ou pas, de la durée de vie des produits, de la capacité du frigo et de ce qu'on trouve au Super U de SXM, ce temple de l'avitaillement des transats.

 

Nous avons formulé 3 choix forts.

 

  1. Stéphanie et moi nous sommes attelés à établir une longue et minutieuse liste de courses sous Excel et en couleur. Notre liste se lit comme du Prévert et comprend les habituels 8 kilos de pâtes, 7 kilos de riz et 10 kilos d'oignons mais aussi 4 kilos de chorizo et 40 paquets de ramen instantanés. Jean-François Deniau a écrit « Les personnes ne se manifestent vraiment qu'avec les questions ménagères.

- Il faut pour l'homme de quart un thermos avec du thé

- Pas du thé du café

- Pas du café ; le café endort tout de suite et réveille trois heures et demie après. Du bouillon ou alors 3 thermos

- Absurde, transigeons à deux thermos et achetons des potages en sachets

- J'ai prévu 10 rouleaux de papier-water

- Dramatiquement insuffisant. S’il y a une chose qui n'est pas tolérable à bord c'est d’être obligé de se rationner en papier-water. Mettez 20 rouleaux et ne lésinons pas non plus sur le vin rouge. »

J.F. Deniau :  La mer est ronde.

 

Ce sera notre phrase du jour et une pensée prémonitoire.

 

  1. Privilégier la qualité. Dans notre cas, cela s'est traduit par le fait de ramener de France, charcuterie, fromage et patés du sud-ouest ; cela nous aura permis d'éviter les produits industriels du Super U, au moins en partie.

 

  1. Entre rationalité et émotion (alimentaire) ton cœur balance. Avant le départ chacun y est allé de son petit doudou alimentaire : gin et biltong pour Bernard ; fromage et rôti de porc pour les Marseillais ; comté pour Bernardo ; tisane et chocolat pour Sido.

 

Une fois au Super U, notre formidable liste a volé en éclats face au principe de réalité. 35 paquets de café ont été ramenés à 14. 40 paquets de biscuits à 15. 15 plaquettes de beurre à … 4.  En conclusion, l'avitaillement permet de déceler les premières lignes de fracture au sein de l'équipage : entre les pro-thés et les Kféistes, entre les fanatiques du biltong et les passionarias du chorizo, entre les zitistes et les œnophiles, entre les ginis et les toniques.

 

Mercredi 7 mai

La météo n'est pas plus favorable que la veille ou l'avant-veille mais il est temps de dégainer ce bon vieux dicton du sud-ouest « a m’en donné il faut bien partir. »

 

Le départ est fixé à 14h30 mais avant, petite plongée au rocher créole et passage à terre pour quelques dernières courses et un vrai café à un prix modique. Départ ponctuel à 14h30 par vent faible, cap au nord-est pour passer au sud de Anguila et franchir l'étroit passage entre Anguila et Scrub Island. Notre dernière vision de la terre avant les Açores sera Scrub Island.

 

Zéro zigue et zague entre les casiers et les sargasses. On finit par se prendre un casier qui se libère de lui-même. Pas de langouste ce soir.

 

L'équipage de Zéro, que l'on pourrait appeler des zéroastriens, des nuls ou 1,2,3,4,5,6 et 7, s'adapte peu à peu à la vie en mer. On s'adapte à la gite, au tangage, à la promiscuité. On s'adapte aussi aux particulières règles d'hygiène à bord de 0 :

 

  1. Chacun son mug et on ne le lave pas
  2. Chacun sa bouteille d'eau qui ne se partage pas
  3. Vaisselle à l'eau de mer
  4. Douche à l'eau de mer sur la jupe arrière
  5. Le savon est collectif ou plus exactement mon savon est collectif

 

Mon conseil beauté : évitez les savons de mer qui sont chers et qui puent. Préférez leur un savon sans savon, par exemple le bien nommé 0 de chez Sanex.

 

Jeudi 8 mai

Première nuit de calme, à moitié au moteur.  Les premiers quarts donnent l'occasion de faire connaissance. La répartition des couchettes se fait ainsi:

 

  1. Les Marseillais, couple oblige, récupèrent la cabine babord.
  2. Sido, auréolée de ses billets pas chers ainsi que des surclassements hérite de la cabine double tribord.
  3. Bernard, Bernardo, Christian et moi sommes logés dans la cabine avant.

 

 

La cabine bâbord diffuse des arômes de pastis, la cabine tribord elle sent la lavande et la fleur d'oranger. La cabine avant sent le yak ; rapidement cela évolue en yak faisandé puis en yak faisandé qui aurait bouffé un maroilles. Si l'odeur est à peine supportable, le bruit est terrifiant. À tout moment, on s'attend à ce qu'un 747 atterrisse dans la cabine, concours de ronflement oblige. Bref tout va bien à bord. Ca pue mais ça va. L'eau est à 25° la douche est agréable.

 

 Au point de 14h30 nous avons parcouru 124 miles nautiques en 24 heures.  Plus que 2000 miles à parcourir.

 

Vendredi 9 mai

Nous poursuivons notre route par vent faible. Nous faisons cap au nord : le but du jeu est de contourner l'anticyclone à notre droite (est) en évitant d'être poussé trop vers le nord-ouest.

 

Nous nous mettons d'accord sur l'organisation des quarts par roulement. Chacun assure un quart de 3 heures, la première heure avec son prédécesseur, la 2e seul et la 3e avec son successeur. Prétendument ce système permet de passer du temps avec 2 personnes pendant un quart plutôt qu'une seule. Le véritable intérêt est que cela permet de passer 1 h seul. Ce n'est pas négligeable lorsqu'on est à 7 sur un bateau de 60 pieds. Cela laisse de la place pour la méditation. « L'eau et la méditation sont liées à jamais.» écrivait Herman Melville, probablement en buvant un verre de rhum.

 

Au point de 14h30 nous avons parcouru 137 milles nautiques. Nous sommes peu ou prou à la latitude de la Havane. Viva la revoluciòn !

 

Samedi 10 mai

On touche enfin du vent : 15 nœuds !

 

Avec 2 ris et sous trinquette, Zéro gîte de bonheur et avale les milles.

 

Nous sommes partis de SXM quelques jours avant la pleine lune. Le temps étant anticyclonique, nous avons le privilège de voir le coucher du soleil, suivi du lever de lune puis les étoiles, tout ça en cinémascope.

 

Avec une pilote et un féru d'astronomie, nous avons droit à une visite guidée des étoiles. M. A. Støkenes nous rappelle que « les noms [de constellations] que nous employons viennent surtout des Grecs qui ont développé des histoires complexes autour de la plupart des constellations qu'ils ont « découvertes » car les constellations sont des produits authentiques de l'imagination humaine. Par exemple, Orion n'est pas un géant qui poursuit les Pléiades dans la voûte céleste. Même les Grecs ne le croyaient pas. Pour eux le ciel était davantage une toile sur lequel il projetaient leurs histoires » ( in L'art de pêcher un requin géant à bord d'un canot pneumatique).

 

Voilà, donc les quarts et en particulier cette heure de solitude, nous permet de se faire du cinéma sur l'écran noir de nos nuits blanches.

 

Au point de 14h30, nous avons parcouru 145 milles nautiques en 24h et sommes à la latitude de Nassau aux Bahamas, ancienne capitale des pirates.

 

Dimanche 11 mai

Quatrième jour de mer. Peu à peu la routine s'installe et se transforme en rituel. On se croise entre passages de quarts, les visages rougis par les frontales et échangeons quelques paroles bien codifiées :

  • Le vent monte tourne/faiblit
  • On a pris/lâché un ris
  • Le génois est déroulé
  • Il y a du thé/café dans le thermos

 

Selon l'ouvrage de référence Zizanies à bord du psychologue Francis Gillot, les 4 vertus cardinales de l'équipier de rêve sont :

  1. l'adaptabilité
  2. l'altruisme
  3. l'implication
  4. le savoir être

 

Il est évident que l'équipage de Zéro, les susnommés 1 ;2 ;3 ;4 ;5 ;6 et 7 sont à des milliers de milles nautiques de posséder ne serait-ce qu'une de ces vertus.  Collectivement nous sommes plutôt inflexibles, voire psychorigides ; égoïstes ; très faiblement impliqué et sans aucun savoir-vivre. Si nous sommes peu vertueux nous avons d'innombrables compétences : poser un 747 ; dégazer un pain ; faire rentrer une pièce d'un euro dans une bouteille ; nous parlons à 6 ou 7 langues ; on sait faire des bouts sans fin…

 

Du coup, selon ces compétences, chacun trouve sa place à bord. Les Marseillais sont au four et au moulin et alternent entre la cuisine et la boulangerie. Sido pilote la pâtisserie et gratte la guitare. Bernado est chef de la plonge et du bricolage. Christian lit les livres du bord, tous les livres du bord. Bernard soigne et parfois torture les bouts qui pour la plupart ne lui ont rien demandé. Moi je tiens le bar et la cave. Je me retrouve vite au chômage technique. Une chose me rassure c'est le côté très humain du bar et par conséquent des barmen. Je me retiens pour ne pas attaquer mon prochain livre Le barman du Ritz.  En attendant, Strøksnes a écrit : « même s'il existe des milliards de galaxies, l'homme est peut-être la seule créature de l'univers entier à avoir jamais mis les pieds dans un bar. » Je suis heureux d'être humain.

 

Au point de 14h30 nous avons parcouru la distance de 170 milles nautiques, notre record. Nous faisons cap au nord nord-est et arrivons à la latitude du nord des Bahamas.

 

Lundi 12 mai

Le vent tombe progressivement. On allume le moteur. Après avoir tourné quelques heures il émet un petit bruit suspect. Vérification des cales : il y a de l'eau. Zut, Zéro fuit.

 

Première étape : pomper l'eau. On retire les planchers et on active les pompes. Puis on passe aux grands moyens et on sort le karcher.  Comme on s’y attend, l'ami Karcher pompe goulûment et recrache une bonne centaine de litres d'eau de mer chaude. Fier de lui, il fait son petit rot et retourne dormir, là où rêvent les aspirateurs. 2e étape : identifier la fuite. Nous avons le droit au grand spectacle d'introspection. Munis de torches et d'un endoscope, nous descendons dans les bas-fonds de la bête et examinons une à une, durites, circuits de refroidissement, water-lock et autres presse-étoupes. Projecteur braqué sur les yeux et endoscope dans le cul ils subissent un interrogatoire à l'ancienne ; personne ne moufte et c'est une bonne nouvelle. Cela prouve que nous n'avons pas de rats à bord.  La coloscopie n’ayant rien donné si ce n'est un délicat fumet de fond de cale, nous en déduisons et ce, après consultation des plus hautes autorités zeroastriennes, que la fuite serait due à un postillon de Poséidon.

 

Nous naviguons au sud de la latitude des Canaries et avons parcouru 123 milles nautiques depuis 24 heures.

 

Mardi 13 mai

Ce matin le soleil est sorti du lit à partir de 03h00. Cela a suscité de houleux débats, ce qui est la nature de tous les débats dans cette partie du monde. Plusieurs hypothèses s'affrontent.

 

Hypothèse 1: nous serions montés trop au nord, là où soleil ne se couche presque jamais. Hypothèse peu semblable puisque nous aurions alors croisé phoques, ours polaires ou le vice-président US en tournée.

 

Hypothèse 2 : une anomalie astronomique provoquée par un furoncle à Uranus. Les astronomes aguerris du bord ont sondé les étoiles et ce n'est pas ça non plus.

 

Hypothèse 3 : qui a fini la bouteille de rhum ? Un cadavre de bouteille ayant été retrouvés dans le cockpit, l'équipe de quart a été promptement accusé d'alcoolisme. Il faut dire qu'un puissant lobby anti-alcool règne à bord et que la minorité alcoolique fait l'objet de discriminations et humiliations constantes. Cette hypothèse ne fut pas prouvée. Nous renonçons à trouver la source de cette anomalie solaire mais par superstition avançons nos montres d'une heure.

 

Qui dit voile, dit météo. Qui dit météo, dit Miss météo. A bord, nous en avons 4 : Stéphanie, Sido, Antoine et Bernard.  Tous ont suivi une formation météo et cette transat offre l’opportunité de mettre en pratique la théorie. Le process est ritualisé comme une messe orthodoxe. Cela démarre avec un sonore « On regarde la météo comme » un pope grec qui déclame Alléluia ! Les 3 autres diacres répondent en cœur et avec l'œil qui pétille « Oui mon frère ». Starlink est allumé et une fois Zéro béni par la divine connexion, nos 4 prêtres se regroupent autour d'une tablette. Et là, comme des pythies sous ketamine, ils interprètent les messages d'Aegir, frère du vent et du feu, époux de Ràn, la déesse des profondeurs. Ràn et Aegir ont eu 9 filles, les 9 vagues de la mer.  Aegir est aussi le nom de la dernière gamme de vêtements de quart chez Helly Hansen, chaudement recommandé par le Vieux Campeur.

 

En un clic sur la tablette, on change de mythologie et les voilà en relation avec Poséidon, Eole et ses sbires. Ils s'extasient devant de subtiles nuances entre les dieux Grecs et les nordiques.  Après une petite danse de la victoire, nos Miss Météo chantent eurêka en chœur. L'exégèse est établie.  Cette fois-ci, ce sont les buveurs d’ouzo qui ont eu raison. Aujourd'hui le cap sentira l'anis. Une dernière courbette à Elon et starlink est éteint.  La messe météo est dite.

 

Nous avons parcouru un modeste 120 miles nautiques en 24h. On a navigué sous spi asymétrique jusqu'à 14h30 puis le vent est tombé et moteur !

 

Mercredi 14 mai

Nous naviguons avec un tas d'outils digitaux : carte Navionics, logiciel de navigation open CPN, routage Avalon, météo Windy, balise Garmin… Mais nous avons aussi une carte papier : la SHOM 6561 L, carte mythique surnommée la Route du Rhum.  Cette carte est magique. A la même échelle, la carte digitale représente l'Atlantique comme un espace vide hormis quelques points éparpillés qui signalent les différents archipels Bermudes, Açores, Cap-Vert, Canaries, Caraïbes… La carte SHOM elle nous dévoile l'intimité des fonds marins.  Depuis le départ de SXM, nous avons traversé la plaine abyssale de Nares ; nous sommes passés au sud-ouest des Bermudes ; au sud des New England Sea Mounts et nous arrivons sur la dorsale médio-atlantique, dont les Açores sont les sommets.

 

Les courbes de niveau donnent le vertige des profondeurs. La plaine de Nares descend à plus de 5800 mètres. Les Corner Sea Mounts sont posés sur des fonds

de 5 000 mètres. Au milieu se trouve un haut-fond à 5,5 M (35°22'11.58"N 51°24'38.61W), qui n'a été découvert qu'en 2003. La carte révèle aussi quelques points intéressants dont le mot Atlantis et le mont Platon au sud des Açores.

 

Enfin la carte nous rappelle qu'une bonne partie de la traversée nous fait passer plus près de Terre-Neuve et accessoirement des États-Unis, que des Açores. La température de l'eau va nous le rappeler.

 

Nous avons parcouru 123 miles nautiques en 24 heures.

 

A suivre...

 



31/07/2025
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