la balade de ZERØ à l'infini

la balade de ZERØ    à l'infini

Depuis l'Ecosse, un livre

Hein ?  ZERO en Ecosse ?  ......................    Non, rassurez vous, en 2016 et toujours en Grèce.

 

Mais voici un chapitre de livre ''tant va la vie a l'eau ...''. Michel Theron, est un ami de Anne Marie et André, il habite près de Toulouse et a ecrit ce roman qu'il commercialise maintenant . L'article ci dessous en est un extrait . ZERO tient une bonne place. L'histoire se passe dans le Nord.

 

De façon toute personnel, je suis assez content de ne pas etre le skipper attitré de Michel. Vous comprendrez pourquoi en lisant cet extrait . Son recit, plein de malice, est , je l'espere romancé ...  Quoi que , il y a des choses qui ne s'invente pas ... 

 

On peut se procurer le livre via ce site internet :  http://www.thebookedition.com/  et en tapant le nom de Michel Theron dans la recherche .

 

 

 

Michel Theron

 Zéro l'infini

 

 

Écosse, Mallaig. Après une journée de voyage, nous voici à destination. Notre chauffeur nous a déposé à l'entrée du port de plaisance. De taille modeste, il abrite ce jour-là une dizaine de voiliers. Il ne nous faut pas longtemps pour repérer Zéro. Sous ce nom minimaliste se cache un bateau de dix-huit mètres. Avec sa coque aluminium grise et son cockpit blanc, il n'a rien de tapageur, mais sa forme à la fois solide et élancée donne une impression immédiate de sérieux et de confiance. Son grand-mât de vingt et un mètres lui confère un statut de grand frère auprès de ses voisins qu'il dépasse largement en hauteur.

Une passerelle métallique qui part du bord de route donne accès à un réseau de pontons en bois. André est là pour nous accueillir. Ce sera notre skipper pour la dizaine de jours que nous allons passer à bord. Un peu plus d'une semaine à naviguer au milieu des Hébrides intérieures du Sud et ses trois îles principales : Mull, Isley et Jura.

À l'énoncé de ces noms par André, au cours d'une soirée entre amis, les yeux de Bernard se sont mis à briller. Non qu'il soit particulièrement calé en géographie, même si ses nombreux voyages de par le monde ont fini par lui donner quelques longueurs d'avance sur la plupart d'entre nous, mais il lui avait été donné, en tant que grand amateur de Whisky, de lire ces appellations sur des bouteilles lui ayant laissé un souvenir ému. L'idée d'un séjour dans ces contrées, avec la perspective de visites de célèbres distilleries n'était pas pour lui déplaire.

Pour ma part, quand André nous fit miroiter cette possibilité de vacances originales, Il en fallut un peu plus pour me convaincre. La promesse d'abord que je ne serais pas contraint à une activité physique intense, ce qui ne cadrait pas avec ma conception du repos et de la détente. L'assurance ensuite que nos journées de navigation seraient entrecoupées d'escales où il me serait permis de retrouver la terre ferme pour quelques visites. À ce prix, j'étais prêt à affronter les heures d'avion et une aventure marine. Pour être honnête ce ne fut pas une négociation bien rude ! J'avais là une occasion unique de découvrir l'univers de la voile et de la navigation. Et puis, que ce soit André et Anne-Marie ou Bernard et Danièle, avec Babeth et moi, nous formions trois couples se connaissant bien, avec des caractères différents mais complémentaires, soucieux avant tout de respecter la liberté de chacun. Du moins le pensions-nous ! Si tel n'était pas le cas, nous ne tarderions pas à le savoir à l'épreuve de cette vie commune, à six dans notre studio flottant.

 

Ma montée sur le bateau est maladroite. Je m'agrippe au câble d'acier pour me hisser sur le pont. Le seul fait de lancer ma jambe par dessus cet obstacle se solde par un craquement de tissu inquiétant au niveau de l'entrejambe. Je me promets de m'entraîner à l'abri des regards pour acquérir un peu plus d'aisance.

L'arrière du bateau offre un espace dans lequel nous prenons place pour une collation de bienvenue. Petits gâteaux, thé, bière et whisky, nous avons le choix ! Nous sommes au-dessus du « garage », une plate forme au ras de l'eau où se trouve le petit canot pneumatique à moteur. Il nous permettra, quand nous mouillerons dans les criques, de rejoindre le rivage pour nos explorations. Autour de nous, il apparaît déjà que le moindre espace est exploité. Du matériel est stocké un peu partout dans des coffres-banquettes. Outils, accessoires pour la pêche, et même des vélos ! Nous sommes au centre névralgique du bateau. Commandes moteur, winches et bloqueurs de drisses et d'écoutes, poulies, coulisseaux, indicateurs de mesures (vitesse du vent, vitesse du bateau, profondeur, angle de gîte)...

Deux marches donnent accès à l'intérieur. On découvre de suite la zone technique. Un écran d'ordinateur, visible de l'extérieur, permet au barreur de suivre l'itinéraire programmé du voilier sur des cartes marines, avec le positionnement GPS de l'embarcation. Là se trouvent encore les moyens de communication et de secours. À droite, la cuisine avec au fond l'aire de stockage des provisions. À gauche, une petite salle de bain et les toilettes. En continuant tout droit, vers l'avant du bateau, on accède à l'espace salle à manger-salon. Sa table et ses banquettes peuvent recevoir jusqu'à huit personnes, une dizaine en se serrant ! Enfin, une dernière marche mène au couloir qui dessert les cabines, deux latérales à deux couchages et la dernière, à l'avant du bateau, pouvant accueillir quatre personnes. Les espaces sont certes exiguës, mais comme nous ne serons que six, nous jouirons malgré tout d'un certain confort.

 

Nous choisissons nos cabines et allons récupérer nos bagages pour les transférer sur le bateau. Parmi eux se trouve un sac que notre chauffeur, réquisitionné depuis l'aéroport de Glasgow, s'est empressé de décharger. Soucieux d'emporter quelques provisions de bouche dans une Grande-Bretagne à la gastronomie douteuse, Nous avons fait une copieuse réserve de charcuteries et de fromages. La preuve est faite que le camembert et le roquefort, bien affinés, voyagent mal. Quant à notre chauffeur, il tient sa confirmation de l'hygiène déplorable des Français, et nul doute que son trajet retour se fera pendant quelques kilomètres vitres ouvertes !

Enhardi par ma descente de bateau un peu plus véloce que lors de mon arrivée, je prends une assurance présomptueuse. C'est ainsi que, voulant faire preuve d'efficacité, je pose un pied sur le bateau, garde l'autre sur le quai, et demande que l'on me passe les valises pour assurer le transfert. Je ne tarde pas à comprendre mon erreur, mais il est trop tard. Le voilier s'écarte inexorablement du bord et je me retrouve à faire le grand écart. Mon pantalon finit de se déchirer avec un bruit sinistre. Avant que mes compagnons puissent me venir en aide, je suis contraint de lâcher prise et me retrouve barbotant dans l'eau du port. Le voilier, parvenu en bout de course, haussières tendues, entreprend alors un mouvement de retour vers le ponton. Je ne mets pas longtemps à comprendre ce qui m'attend si je ne réagis pas. Je suis bon pour une cure d'amaigrissement radicale, coincé entre le bateau et le quai. Fort heureusement, tout le monde a compris le danger et s'affaire. André me presse de nager vers l'arrière du bateau où il me sera facile de remonter par la plate-forme du garage. Dans le même temps, assis sur le bord du ponton, Danièle, Babeth et Bernard ont tendu leurs jambes pour stopper le mouvement de la coque. Anne-Marie me jette une bouée pour m'aider dans ma nage, afin de sortir plus vite de la zone dangereuse en me tractant.

C'est ainsi que je finis, lamentable, essoufflé et tremblant, pantalon déchiré, sur la plate-forme arrière du bateau. Bernard me prodigue les premiers secours en me tendant la bouteille de whisky. Indéniablement, mon arrivée sur Zéro avant même que nous ayons commencé à naviguer est une réussite et augure bien de la suite !

Dès notre installation terminée, et peut-être en lien direct avec mes exploits, André entreprend de nous former aux consignes de sécurité. La plus importante est bien sûr l'enchaînement des actions à accomplir si l'un d'entre nous passe par-dessus bord. Il y a autour du bateau un câble de sécurité que nous devons utiliser si la mer est mauvaise en nous y accrochant avec un mousqueton. En cas de chute, il faut immédiatement appuyer sur un bouton rouge qui fixe sur l'écran de la carte marine la position du bateau à ce moment-là. On peut en quelques secondes parcourir une distance importante et, sans repères, il est difficile de retrouver un homme à la mer. On lance la bouée de sauvetage et on coupe le moteur ou bien on tombe toutes les voiles selon le mode de navigation. Il faut ensuite revenir en arrière pour secourir l'infortuné baigneur avant qu'une hypothermie n'ait raison de lui.

Cette entrée en matière est un peu anxiogène, mais ma récente mésaventure a fait de moi un élève réceptif ! Viennent ensuite les consignes d'incendie et l'organisation de la vie à bord. Notre attention est attirée sur un fonctionnement aléatoire des toilettes. Un système de pompe pas tout à fait au point est susceptible de transformer l'évacuation souhaitée en geyser ! Il est donc impératif de ne pas trop se pencher sur la cuvette, et d'envisager l'éventualité d'un nettoyage désagréable. Généralement, la difficulté est contournée par une opération de vidange en plein air, dans une position acrobatique, accroché au câble de sécurité et fesses au-dessus de l'eau ! Les visages s'allongent un peu chez les dames. André les rassure : nous pouvons aussi profiter chaque fois que possible de nos escales à terre, et la méthode proposée est sans véritable danger quand le bateau est à l'arrêt.

Un dernier point concernant la sécurité consiste à s'abstenir de prononcer certains mots à bord. Les marins sont superstitieux et prennent garde à ne jamais parler de « lapin » ou de « corde » ! Le premier terme rappelle les dégâts que pouvaient provoquer ces rongeurs sur un bateau. On les embarquait pour s'en régaler pendant une traversée. Mais si par malheur ils s'échappaient de leur cage, c'en était fait des cordages et des colmatages à l'aide d'étoupe ! Quant à la corde, ce mot était exclusivement réservé pour la pendaison des mutins ! Le lapin devient donc « le cousin du lièvre » et la corde un « cordage » ou un « bout », mot dont on prononce la dernière lettre.

André nous donne ces informations avec désinvolture, mais nous nous apercevons bien vite que plaisanter sur le sujet ne le met pas à l'aise ! Bien entendu, il va avoir droit pendant tout le séjour à nos jeux de mots crispants. « La pein...ture s'écaille », « passe-moi la pin..ce à linge », Ou encore un engouement soudain pour Chantal Goya : « Ce matin, un ..., a tué... » la suite en sifflant !

Mais à ce jeu, c'est Danièle qui s’avérera la plus perfide. Le dernier jour, en partant, elle lui avouera sur le quai s'être rendue compte qu'elle avait embarqué une paire de chaussettes avec pour motifs des dessins de lapins. « Quand je m'en suis aperçue, ça m'a fait rire. J'ai préféré ne rien te dire. Du reste je ne les ai pas portées longtemps parce que j'en ai perdu une. Du coup j'ai balancé l'autre à la mer. »

Aux dires d'Anne-Marie, juste après notre départ, André fut pris d'une frénésie de rangement et de ménage. Grande fut sa consternation quand, au terme de ses efforts, pas la moindre chaussette à petits lapins ne se montra !

Quand bien plus tard, nous retrouvant pour un repas et évoquant nos souvenirs de navigation, cette histoire revint sur le tapis, Danièle porta le coup de grâce. « Mais André, ne me dis pas que tu as cru à cette histoire ! Je n'ai jamais eu de telles chaussettes ! C'était pour rire ! »

Nos premiers jours de navigation nous permettent de tester notre résistance au mal de mer. Par chance, aucun de nous n'y est sujet. Il faut dire que les conditions météorologiques, si elles sont avares en ensoleillement, le sont tout autant en ce qui concerne le vent. Nous clapotons sur une eau tranquille, à l’affût du moindre rayon pouvant réchauffer nos corps prisonniers d'une constante humidité.

De grains en éclaircies, nous traçons notre route vers les rivages d'Isley. Nous couvrons une partie de la distance à la voile. L'occasion pour Bernard, dans un excès d'énergie pourtant rare chez lui, de transformer un winch en une pelote géante qui finit par interdire tout mouvement de manivelle. C'est au couteau qu'André parvient, au prix d'un raccourcissement mal venu de cordage, à libérer la drisse. Ce premier cafouillage, associé à la constatation douloureusement évidente d'une totale inactivité de ma part, lui fait prendre conscience du challenge qu'il s'est imposé avec pareil équipage !

Grand-voile et trinquette déployées, l'absence de vent fait progresser le voilier à un rythme de père peinard : vitesse de quatre à cinq nœuds avec des pointes rares de sept ou huit. Très vite, nous nous sommes lassés de cette nonchalance venteuse. Babeth a voulu boire un thé, suggestion qui a rallié les suffrages des dames. Danièle était plongée dans l'observation d'oiseaux à la jumelle. J'étais déjà le nez dans un bouquin, ne levant les yeux qu'aux exclamations annonçant un spectacle digne d'intérêt, ou bien pour scruter les nuages dans l'espoir d'une dissipation de la grisaille. Bernard, un peu refroidi par sa première leçon de voile, aspirait à un moment de pêche en solitaire. André s'est donc résigné à passer à la navigation au moteur, ce qui nous fait avancer à la même vitesse, le bruit du moulin en plus !

Au soir, nous mouillons dans une crique enchanteresse. Comme par magie le soleil a daigné apparaître, transformant le paysage en féerie lumineuse. Une nature typiquement écossaise, sauvage et âpre comme un bon whisky s'offre à nous, adoucie par la belle clarté vespérale. Nous savourons les cinquante nuances de gris de l'océan, le mauve des bruyères piquetant le vert des herbes hautes, les taches brunâtres des algues et le jaune des lichens couvrant les rochers du rivage, symphonie de couleurs et de vie.

Une musique s'est glissée avec douceur dans le calme du soir. Anne-Marie a trouvé un enregistrement des suites pour violoncelles. Nous nous taisons. Mon verre à la main, je me laisse imprégner de ce moment précieux, tous mes sens mobilisés pour capter jusqu'à la moindre parcelle de cet avant-goût de paradis.

Le lendemain, après une nuit agréable malgré l'humidité qui se glissait jusque dans les draps, nous sortons le canot à moteur pour partir explorer l'île. Nous avons déjà fait la veille une petite marche pour visiter l'intérieur. Aujourd'hui, notre ambition est autre. Sur la carte que nous possédons dans le bateau, un précédent équipage a signalé la présence d'une grosse quantité de moules délicieuses et de belle taille. Il suffit de longer le bord et de soulever les herbes qui masquent la roche. Leurs indications se vérifient au delà de nos espérances. En quelques minutes nous remplissons deux seaux ! Voilà un apport alimentaire qui va nous faire oublier la pêche infructueuse de Bernard la veille. Il se rattrape un moment plus tard de fort belle manière en découvrant des huître plates !

Notre repas ce jour-là est mémorable. Moules au curry avec un riz safrané mais surtout, après quelques difficultés pour les ouvrir, des huîtres d'une saveur délicate, pas trop salées, idéalement iodées, avec une fine touche de noisette qui vient s'ajouter à leur fraîcheur parfumée.

Nous avons frôlé l'overdose mytilicole ! Moules midi et soir pendant plusieurs jours ! J'ai enfin trouvé un semblant d'utilité dans le groupe en m'investissant dans la cuisine. Il m'a fallu des trésors d'imagination pour varier les recettes. On les mange crues au vinaigre pour l'apéritif, en plat principal avec des pâtes, du riz, des pommes de terre, au four (il y en a un sur le bateau!), à la casserole, sur le grill...

Et curieusement, aucune perturbation intestinale ne vient sanctionner ce régime !

Mes amis malicieux me font remarquer un jour que mon inventivité ne m'a pas permis de créer un dessert à la moule. André ajoutant finement que s'il existe des moules à gâteaux, personne n'a jusqu'à présent expérimenté un gâteau aux moules. Mis au défi, je finis par trouver une solution venue tout droit de l'enfance : ces roudoudous que nous achetions à la sortie de l'école. Des coquillages à lécher, remplis d'un caramel parfumé. Je me mets au travail dans le plus grand secret et, le soir même, je pose sur la table mes coquilles de moules. Le succès se double d'une franche rigolade. D'abord parce qu'il est facile d'imaginer les plaisanteries nées autour d'une table où chacun s'applique avec gourmandise à lécher la moule, mais j'ai par ailleurs ajouté un élément ludique à ce dessert en mettant au fond de la coquille, avant de la remplir, un arôme à identifier. Ce n'est pas toujours évident. Seule Babeth n'a aucun mal à reconnaître la dose généreuse de poivre glissée dans le roudoudou que le hasard lui a fait choisir ! On ne peut pas tout avoir ! C'est déjà une chance d'avoir pour mari un aussi bon cuisinier !

L'un des trois jours de beau temps sur les dix qu'a duré notre périple va s'ancrer durablement dans nos mémoires.

Bientôt une semaine que nous tenons bon la barre, tenons bon les flots, hissez haut ! Il arrive que le ciel couvert et les pluies fréquentes émoussent notre enthousiasme et nous rendent maussades. Notre intérieur aux dimensions déjà modestes a subi l'envahissement progressif du linge mis à sécher. Cette exposition textile qui ne masque rien de nos goûts les plus intimes projette partout son humidité agressive. Nous vivons dans un environnement de pulls, chaussettes, pantalons et autres lingeries rebelles au séchage. On en pleurerait presque s'il n'y avait pas déjà assez d'eau comme ça !

À cela s'ajoutent des moments pénibles qui ont mis à vif les nerfs de notre skipper martyr !

Tel ce mouillage dans un port de l'île de Mull afin de refaire provision d'eau douce et profiter des sanitaires de la capitainerie pour une bonne douche chaude. Il n'y avait plus de possibilité de s'amarrer à quai. La seule solution consistait donc à utiliser un corps-mort. Un câble ou une chaîne relie une bouée en surface à une dalle de béton posée au fond de l'eau. La technique consiste, muni d'une gaffe, à crocher la bouée pour pouvoir ensuite s'y fixer. Il s'avéra que la longueur de notre gaffe rendait l'opération compliquée. La difficulté résidait aussi dans la taille respectable du voilier qu'André, à l'arrière, pilotait en aveugle en se fiant à nos indications pour approcher au plus près de la bouée. Dans ce manège insolite, tandis que notre skipper faisait des ronds dans l'eau pour repositionner sans cesse l'embarcation, nous pûmes à tour de rôle tester notre adresse. Il fallut huit tentatives avant que la bouée puisse enfin être accrochée. Nous étions devenus, au fil de nos essais infructueux, l'attraction du port. Les marins écossais et les flâneurs s'étaient agglutinés sur le quai, de sorte que notre exploit final fut salué par une foule conséquente. Une foule qui put profiter en prime du langage fleuri d'André dont la voix était montée progressivement en volume jusqu'à atteindre un niveau de décibels appréciable !

Telle fut aussi la mésaventure qui doit encore alimenter les récits de nos voisins britanniques dans tous les pubs des îles Hébrides. Cette fois, nous avions mouillé au large et choisi de rejoindre la terre ferme avec le canot. Bernard le pilotait sans problème et avait su gagner la confiance d'André. Notre partîmes donc à deux couples faire nos achats. Cette perspective de renouveler les stocks de nourriture, de bière et de whisky nous rendait de fort bonne humeur. Nous accostâmes en plaisantant, riant de je ne sais quel exploit passé. Babeth suggéra une petite promenade dans le village avant de faire les courses. Nous prîmes ensuite le temps d'un café avant de rejoindre le port. Là, un attroupement tout près de notre canot doucha notre euphorie primesautière. Nous nous approchâmes et découvrîmes un spectacle insolite. Nous avions amarré l'embarcation à un anneau scellé dans le mur du quai, sans réfléchir au fait que nous étions à marée haute. Pendant notre absence le niveau de l'eau avait baissé. Nous n'avions pas pensé à donner du mou à la corde. Elle s'était tendue. La marée avait continué son travail, de sorte que le canot se trouvait maintenant presque à la verticale, l'avant dressé comme celui d'un hors-bord en pleine vitesse. Fort heureusement Bernard avait pensé à relever le moteur, évitant une catastrophe totale. Toute intervention était impossible. Il fallut donc s'armer de patience et attendre le retour de la marée haute.

Notre arrivée tardive sur le voilier ne fut pas glorieuse ! Avec des mines de gamins coupables, il nous fallut expliquer à André ce nouvel exploit. Sa dose personnelle de témesta fut mise à mal, et on connut sur le bateau un regain d'intérêt pour les infusions du soir « nuit paisible ».

Mais refermons ce catalogue consternant de nos hauts faits maritimes pour en revenir à cette belle journée d'août. Nous faisons route, sous un ciel sans nuage, vers les côtes de Mull, après une visite de Staffa. C'est une île remarquable par sa particularité géologique : la formation naturelle de colonnes de basalte de plus de vingt mètres de haut. Nous en avons fait le tour, en nous attardant à l'entrée de la grotte de Fingal's, là où la vue est la plus spectaculaire. Nous avons longuement contemplé cette muraille noire de piliers d'une incroyable régularité dans leur forme hexagonale. On a du mal à se persuader que rien dans cette architecture d'origine volcanique n'est dû au travail des hommes. Avant nous, de fameux visiteurs ont arrêté leur regard sur ce spectacle unique, y trouvant matière à création dans leur art respectif. Turner en a fait plusieurs tableaux, Jules Vernes l'évoque dans « Le rayon vert », Mendelssohn dans une de ses compositions.

L'humeur sur le bateau s'est mise au diapason de la météo estivale. Étalé un peu partout ou suspendu, notre linge sèche enfin. Nous avons pu abandonner nos pulls et prenons le soleil en short et polo. C'est l'une des rares fois où nous avons pris notre déjeuner à l'extérieur. Il n'y a pas un souffle de vent. Nous avançons au moteur et je soupçonne André de spéculer sur la revente de la voilure pour payer nos frais de carburant ! Anne-Marie est à la barre, suivant l'itinéraire tracé la veille sur nos cartes marines.

Soudain elle pousse une exclamation et se précipite pour stopper le moteur. Une série de « Merde » montant crescendo, ce qui est plutôt inhabituel chez elle, nous fait comprendre qu'il y a un vrai problème et nous ne tardons pas à en comprendre la nature.

Près des côtes les pêcheurs, pour la capture des homards et des tourteaux, posent des casiers qui sont signalés par des flotteurs à la surface de l'eau. L'une des tâches du barreur, à l'arrière du voilier, est de rester attentif à ces obstacles qui, s'ils ne sont pas repérés à temps, peuvent être la cause d'incidents fâcheux. Ce qui vient de se produire, c'est l'enroulement de la corde du casier sur l'hélice du moteur qui l'a happée.

Nous restons un moment désemparés à nous regarder, le temps de réaliser l'inconfort de notre situation. Impossible de remettre le moteur tant que l'hélice n'est pas libérée de la corde qui l'entoure. Une mer d'huile, sans le moindre souffle de vent, enlève tout espoir d'avancer à la voile.

Il existe bien une solution qui s'impose comme une évidence : plonger pour aller sous le bateau dénouer la corde. Mais un problème de taille nous fait hésiter et personne n'a l'idée de se porter volontaire pour cette intervention. Depuis une bonne heure, nous avons eu le loisir d'observer des ailerons de requins fendant la surface de l'eau, s'approchant parfois du bateau pour notre plus grand émerveillement. Nous sommes tout à coup moins enthousiastes à l'idée d'aller tenir compagnie à ces inquiétantes créatures ! Anne-Marie saisit la corde attachée au flotteur et essaie sans grande conviction de tirer dessus. André se lamente, agité d'un balancement du corps d'avant en arrière, la tête dans les mains, en répétant : « Alors là, je ne vois pas comment on va s'en sortir sans aide ! »

Il me semble pouvoir traduire sa pensée par un « mais qu'est-ce que je suis venu faire dans cette galère ?»

Une question largement partagée si j'en juge par nos mines désemparées.

Il n'y a pas de danger immédiat. Nous sommes près de la côte et rien ne nous empêche de solliciter les secours. Mais cela va avoir un coût et nous n'avons pas envie d'être l'objet de la colère des pêcheurs ou des moqueries de nos sauveteurs.

Un silence finit pas s'installer. Chacun retourne le problème dans sa tête. Je me dis qu'il va bien falloir que l'un d'entre nous prenne son courage à deux mains et se jette à l'eau. Je me prépare à cette éventualité. L'hélice n'est pas bien loin et deux ou trois immersions devraient suffire. Mais où sont ces satanés requins ? Quel est leur degré d'agressivité ?

André laisse échapper un soupir avant de lâcher :

« Il existe peut-être une solution. Il y a une trappe d'accès depuis le garage. Une plaque qu'on peut déboulonner. Mais c'est risqué. Les vis sont en aluminium. Elles peuvent casser facilement. »

Sa proposition est accueillie avec soulagement. On ne voit rien dans ce qu'il nous dit qui puisse rivaliser avec le danger que représente la fréquentation des requins !

Nous nous mettons donc au travail avec d'infinies précautions. La plaque est finalement ôtée et nous découvrons un puits cylindrique plongeant dans l'eau juste en aplomb de l'hélice.

Bernard s'y engage tête la première, un couteau à la main, pendant que nous le retenons par les jambes. Il faudra plusieurs minutes avant que la corde soit enfin dégagée. Soulagement général !

Il faudra encore quelques efforts pour remettre la plaque. À l'ouverture, par un effet de pression de l'eau, le cylindre est remonté au niveau de flottaison du bateau. Il faut désormais exercer une pression sur la trappe pour qu'il retrouve la position permettant de la fixer. Je connais alors mon heure de gloire. J'ai peu d'occasions de me féliciter dans la vie de ma corpulence, mais en ces circonstances, mon quintal est une aide précieuse pour dompter la poussée de l'eau. Pesant de tout mon poids sur la trappe, je parviens à la maintenir en place tandis que Bernard et André serrent les boulons.

Le sauvetage est terminé. Bernard interpelle Anne-Marie et Babeth restées sur la plate-forme arrière.

« On ne va pas repartir sans voir ce qu'il y a dans ce casier. Remonte-le. Je ferai un prélèvement pour le repas de ce soir ! 

- Et comment veux-tu que je le remonte, nigaud ! Le bout que je tiens, c'est celui du flotteur. L'autre tu l'as laissé filer au fond en le coupant ! »

Non seulement il n'y aurait pas de tourteau ou de homard pour notre dîner, mais le casier était perdu. Dans un même mouvement, nous balayons l'horizon du regard. André démarre le moteur. Son ronronnement régulier nous rassure : l'hélice et son axe n'ont pas été endommagés. Nous quittons les lieux sans tarder, peu désireux d'une rencontre avec des pêcheurs ombrageux rendus colère par leur perte ! Imaginez : des Écossais en plus !

Deux jours avant la fin de nos vacances, à la faveur d'une escale dans un port de Jura, Bernard ramènera à bord du voilier un casier garni de tourteaux. Il nous dira l'avoir trouvé abandonné dans une zone déserte de la côte. Il aura une durée de vie éphémère (le casier!) puisque un nœud défaillant lui fera rejoindre peu de temps après les fonds marins pour l'éternité. Les tâtonnements de notre spécialiste dans la pêche au lancer finiront par porter leurs fruits, et nous nous régalerons à plusieurs reprises de maquereaux tout frais pêchés.

Nous apprendrons un peu tard que les requins rencontrés n'étaient autres que des basking sharks ou requins pélerins, parfaitement inoffensifs, se nourrissant exclusivement de plancton.

Lorsque viendra le moment de nous séparer, malgré nos mésaventures, malgré le temps peu clément durant ces dix jours, nous le ferons avec regret, conscients au final d'une belle aventure collective.

Il est des navigateurs qui sillonnent les mers à la recherche de trésors mythiques enfouis dans les profondeurs marines ou sous le sable d'une île déserte. Nous ramenons pour notre part un butin inestimable. L'affirmation d'une vraie amitié, qui résiste à l'eau et aux intempéries.

 

 



12/04/2017
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 441 autres membres